Malgré les pressions américaines, le Caire refuse d’ouvrir ses frontières pour accueillir les Palestiniens fuyant la guerre.

Depuis le début de l’offensive israélienne sur Gaza, les Etats-Unis n’ont eu de cesse d’exercer des pressions sur l’Egypte afin qu’elle accepte d’accueillir une partie des Palestiniens fuyant les bombardements. En coulisses, Washington tente de convaincre Le Caire par divers leviers, notamment l’aide militaire annuelle de 1,3 milliard de dollars octroyée dans le cadre des accords de Camp David. Mais cette assistance, bien qu’essentielle à l’appareil sécuritaire égyptien, ne suffit pas à faire céder le président Abdel Fattah Al-Sissi sur un dossier aussi explosif.
Une position dictée par des considérations sécuritaires, diplomatiques et politiques, alors que l’Egypte se pose en défenseur de la cause palestinienne et en garant de sa propre stabilité régionale.
Dès les premières semaines du conflit, des rumeurs ont émergé sur d’éventuelles compensations financières proposées en échange de l’accueil des réfugiés palestiniens. Parmi elles, un allègement de la dette extérieure égyptienne, qui dépasse 152 milliards de dollars. Une hypothèse que Le Caire a rapidement balayée, préférant afficher une posture de fermeté. Pour le gouvernement égyptien, céder à cette demande reviendrait à entériner une stratégie de déplacement forcé, menaçant l’identité même de la cause palestinienne.
Une ligne rouge sécuritaire et stratégique
Si l’Egypte campe sur sa position, c’est avant tout pour des raisons sécuritaires. Un afflux massif de réfugiés dans le Sinaï risquerait de transformer cette zone sensible en un foyer d’instabilité, alors que la région est déjà marquée par des insurrections djihadistes. Le Caire craint que son territoire ne serve de base arrière à des actions militaires contre Israël, ce qui pourrait entraîner des représailles et une montée des tensions dans la région.
Au-delà du risque sécuritaire immédiat, l’Egypte veut éviter un précédent aux conséquences irréversibles. Pour Le Caire, l’accueil des réfugiés pourrait être le premier pas vers une « dépalestinisation » de Gaza, une stratégie encouragée par l’extrême droite israélienne. En acceptant un déplacement massif de population, l’Égypte donnerait involontairement du crédit à une vision selon laquelle les Gazaouis n’auraient plus vocation à retourner sur leur territoire. Une hypothèse inacceptable aux yeux du président Al-Sissi, qui se présente comme un défenseur des droits palestiniens sur la scène arabe et internationale.
Une posture dictée par l’opinion publique
Dans ce bras de fer avec Washington, l’opinion publique égyptienne joue un rôle clé. Profondément attachée à la cause palestinienne, une large partie de la population perçoit toute relocalisation forcée comme un acte de « nettoyage ethnique ». Conscient de cette sensibilité, le gouvernement a rapidement verrouillé le discours officiel, relayant une opposition ferme à tout déplacement de population. Des manifestations ont même été tolérées à Rafah, une rare concession du régime autoritaire d’Al-Sissi, illustrant la volonté de canaliser la colère populaire tout en réaffirmant sa souveraineté.
Cette posture permet également au président égyptien de renforcer sa propre légitimité dans un contexte de crise économique persistante et de tensions sociales croissantes. En se dressant contre la pression américaine, Al-Sissi cherche à apparaître comme un leader inflexible, garant de la stabilité nationale et protecteur des intérêts du monde arabe.
Si l’Egypte reste ferme, la situation à Gaza ne cesse d’évoluer et pourrait fragiliser cette position. Washington pourrait accentuer la pression économique, et bien que Le Caire reste un partenaire stratégique pour les États-Unis, notamment sur les questions sécuritaires et énergétiques, les marges de manœuvre se réduisent.
L’avenir de cette résistance égyptienne dépendra autant de la dynamique du conflit à Gaza que de l’évolution de l’équilibre politique et économique interne. Pour l’instant, Abdel FattahAl-Sissi tient bon. Mais jusqu’à quand ?
Alain Leuwat
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