
Dans une tribune publiée ce jeudi 6 mars 2025, ils sont 16 qui dénoncent une dérive inquiétante qui menace la cohésion nationale, et appellent les journalistes à plus de responsabilité.
A moins de dix mois de l’échéance électorale de 2025 au Cameroun, les discours clivants et les incitations à la haine se multiplient sur les réseaux sociaux et les plateaux de télévision. Face à cette dérive inquiétante, des patrons de presse ont pris position dans une tribune publiée ce 6 mars 2025, dénonçant avec fermeté la responsabilité des médias dans la propagation de ces discours dangereux. « La presse doit se ressaisir, l’État doit prendre ses responsabilités », clament-ils d’une seule voix, rappelant que le Cameroun est une mosaïque de plus de 200 ethnies dont l’unité reste fragile. En laissant prospérer ces discours, les journalistes trahissent leurs principes déontologiques, tandis que l’État, en restant laxiste, expose le pays à des tensions qui pourraient dégénérer.
Un climat préélectoral sous haute tension
Cette prise de parole intervient dans un contexte où le gouvernement lui-même s’inquiète des risques de troubles liés à la présidentielle. Lors d’une conférence de presse le 4 mars, le ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, a haussé le ton contre les partis politiques accusés d’attiser la tension. Il a menacé de sévères sanctions toute personne diffusant des messages subversifs. Mais pour les patrons de presse, le danger ne vient pas uniquement des hommes politiques. Ils pointent du doigt des journalistes et analystes médiatiques qui, à la recherche d’audience, alimentent les rancœurs communautaires. « Quel honneur y a-t-il à attiser la haine ethnique sur un plateau télé ? » s’interrogent-ils.
Ils rappellent à ce titre la Charte d’éthique mondiale des journalistes de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), qui stipule que « le journaliste veillera à ce que la diffusion d’une information ou d’une opinion ne contribue pas à nourrir la haine ou les préjugés ». Un principe aujourd’hui bafoué par certains professionnels du métier, regrettent-ils.
L’impunité, un terreau fertile à la haine
Le laxisme des autorités est également pointé du doigt. Selon le Code pénal camerounais, les discours de haine sont passibles de deux ans d’emprisonnement et d’amendes allant jusqu’à trois millions de francs Cfa, des peines doublées lorsque l’auteur est un journaliste ou un responsable politique.Dans les faits pourtant, ni le Code pénal, ni les lois en vigueur contre la cybercriminalité et le terrorisme ne sont appliqués. Les poursuites sont rares, renforçant un sentiment d’impunité.
Toujours sur un ton empreint d’inquiétude, les patrons de supports médias tancent plusieurs institutions qui, selon eux, ne jouent pas le rôle attendu d’elles dans la lutte contre les discours de haine. Il s’agit en l’occurrence de l’Agence nationale des technologies de l’information et de la communication (Antic), de la Commission nationale pour le bilinguisme et le multiculturalisme, ainsi que du Conseil national de la communication (Cnc).
Le problème c’est la tolérance vis-à-vis des entrepreneurs de la haine. Et il y a de quoi s’inquiéter profondément. « Des États voisins ont sombré dans le chaos à cause de la banalisation des discours haineux », alertent les signataires de la tribune. Ils appellent les pouvoirs publics à appliquer la loi avec rigueur et exhortent les journalistes à refuser de servir de caisse de résonance aux discours clivants.
A l’approche d’une élection présidentielle cruciale, la presse camerounaise est à la croisée des chemins. Doit-elle jouer son rôle de contre-pouvoir dans le respect des principes déontologiques, ou céder à la tentation du sensationnalisme et des clivages ethniques ? Les patrons de presse sont formels : la responsabilité des journalistes est immense.
Alain Leuwat
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